L’acquisition d’un navire et la compréhension de sa nature juridique sont essentielles pour toute personne impliquée dans le secteur maritime. Les règles régissant la propriété d’un navire, qu’il s’agisse de la construction, de la responsabilité du propriétaire ou de la copropriété, sont complexes et nécessitent une attention particulière. Ce blog explore les différents régimes juridiques applicables, les responsabilités des propriétaires, ainsi que les procédures légales entourant la vente et la gestion des navires.
Acquisition et nature juridique de la propriété d'un navire
1. Régime juridique applicable
Les navires de mer et leurs accessoires, indispensables à leur exploitation, sont considérés comme des biens meubles. Ils sont donc, par principe, soumis aux règles du droit commun régissant les biens meubles. Cependant, des règles spéciales du droit maritime s’appliquent en priorité. (Il est utile de rappeler ici que le droit commun est l’ensemble des règles générales applicables en l’absence de dispositions spécifiques).
2. Propriété lors de la construction
Sauf stipulation contraire dans un contrat, le constructeur d’un navire pour le compte d’un tiers reste propriétaire de celui-ci jusqu’à sa livraison. Cette disposition est importante car elle répartit les risques pendant la phase de construction.
3. Conséquences de la faillite du constructeur
En cas de faillite ou de liquidation judiciaire du constructeur, si la construction n’est pas achevée, le commanditaire a le droit de se faire attribuer le navire et les matériaux déjà approvisionnés. Cette attribution est conditionnée au versement du prix d’estimation, duquel sont déduits les acomptes déjà versés. Cette mesure protège le commanditaire contre les conséquences financières de la défaillance du constructeur.
Étendue de la responsabilité du propriétaire du navire
La responsabilité du propriétaire d’un navire est à la fois personnelle et limitée, en vertu de règles spécifiques destinées à équilibrer les intérêts des différentes parties prenantes.
1. Responsabilité limitée aux actes du capitaine et des équipiers
Le propriétaire est responsable, dans la limite de la valeur du navire et de ses accessoires (à concurrence maximale de 13 800 F par tonneau de jauge), des obligations découlant des actes et contrats conclus par le capitaine dans l’exercice de ses pouvoirs légaux. Il est également responsable des faits et fautes du capitaine, de l’équipage, du pilote, et de toute personne au service du navire.
2. Responsabilité accrue en cas de préjudices corporels
En cas de mort ou de lésions corporelles causées par les faits ou fautes du personnel du navire, la responsabilité du propriétaire est étendue, jusqu’à concurrence de 12 000 francs par tonneau de jauge. Cette disposition renforce la protection des victimes et de leurs ayants droit.
3. Obligations relatives aux épaves et aux obstacles à la navigation
Le propriétaire est également responsable de l’enlèvement de l’épave d’un navire coulé et de la réparation des dommages causés aux ouvrages d’art portuaires et aux voies navigables. De même, il est tenu d’enlever un navire échoué ou coulé dans les eaux territoriales lorsqu’il constitue un obstacle ou un danger pour la navigation.
4. Procédure en cas d'absence de relèvement
Si le navire coulé ou échoué ne représente pas un danger immédiat pour la navigation et n’est pas relevé dans les deux ans suivant une mise en demeure, l’administration peut prendre les mesures nécessaires pour assurer l’exploitation du bâtiment. Le produit net éventuel est déposé au Trésor et reste à la disposition des ayants droit pendant cinq ans. Passé ce délai sans réclamation, la somme devient la propriété de l’État.
5. Responsabilité solidaire de l'armateur non-propriétaire
L’armateur qui n’est pas propriétaire du navire est solidairement responsable avec le propriétaire, et dans les mêmes limites. Cette solidarité vise à renforcer la protection des créanciers et des victimes en cas d’accident maritime.
La copropriété des navires : Une structure particulière
La copropriété des navires représente un cas unique au sein du droit de la propriété. Elle se distingue par les caractéristiques suivantes :
1. Droit de renonciation du capitaine
En cas de révocation, un capitaine également copropriétaire peut choisir de renoncer à sa part de copropriété, demandant le remboursement de son capital. Ce droit est cependant limité dans le temps : il doit être exercé dans les 30 jours suivant l’interpellation des autres copropriétaires. Le remboursement doit intervenir dans les 30 jours suivant l’expertise fixant le montant de sa part.
2. Responsabilité proportionnelle et possibilité d'abandon :
La responsabilité de chaque copropriétaire est limitée à sa part de propriété. Un copropriétaire peut se dégager d’obligations résultant d’un acte de gestion auquel il s’est opposé en abandonnant sa part. Cette part est alors redistribuée aux autres copropriétaires, proportionnellement à leurs parts respectives.
3. Continuité malgré les événements personnels
La copropriété ne prend pas fin en cas de décès, faillite, déconfiture ou interdiction d’un des copropriétaires. Cette disposition garantit la stabilité de la structure de propriété.
4. Pouvoirs de l'armateur gérant
L’armateur gérant, désigné par les copropriétaires, ne peut vendre ni hypothéquer le navire sans pouvoir spécial. Toutefois, ses pouvoirs généraux incluent la faculté de l’assurer. Il représente également les propriétaires en justice pour toute question relative à l’armement et à l’expédition. Les limitations apportées aux pouvoirs de l’armateur gérant ne sont pas opposables aux tiers de bonne foi.
5. Le rôle central de l'armateur
L’armateur est un acteur fondamental de l’industrie maritime. Il est un professionnel des métiers de la mer dont la mission principale est d’organiser le transport de marchandises d’un port à un autre. Pour ce faire, il arme le navire, c’est-à-dire qu’il fournit le matériel, l’équipage et les denrées nécessaires à son exploitation.
L’armateur joue également un rôle important dans le financement des navires de la marine marchande. De plus, il peut être responsable de bateaux de pêche, assurant notamment la sécurité en mer.
La vente des navires : Aspects légaux et pratiques
La vente d’un navire est une transaction importante soumise à des règles spécifiques, distinguant deux types de vente :
Vente Volontaire : Elle doit impérativement être formalisée par écrit, soit par acte public (notarié), soit par acte sous seing privé (signé par les parties), que la vente porte sur le navire entier ou une fraction de celui-ci, et que le navire soit au port ou en voyage.
Vente Forcée : Ce type de vente est régi par des procédures spécifiques.
Points importants concernant la vente à l’étranger :
La vente réalisée à l’étranger doit également être établie par écrit, sous seing privé ou par acte authentique.
Lorsqu’un navire est vendu dans un port étranger ou différent de son port d’immatriculation, une simple mention de la vente sur le registre matricule suffit à tenir lieu d’immatriculation définitive, jusqu’à son retour au port d’immatriculation initial.
Gestion des intérêts communs entre propriétaires
Les décisions concernant l’intérêt commun des propriétaires sont prises à la majorité (portion d’intérêt excédant la moitié de la valeur du navire).
- La licitation (vente aux enchères) d’un navire nécessite la demande de propriétaires représentant au moins la moitié de l’intérêt total, sauf convention contraire écrite.
- Chaque propriétaire peut céder sa part individuellement. Cependant, une vente entraînant la perte du droit de battre pavillon national requiert le consentement unanime des copropriétaires.
- Un capitaine congédié, également copropriétaire, peut renoncer à sa part et exiger le remboursement du capital correspondant. Un délai strict est imposé pour la prise de décision.
Textes de référence
- Dahir du 31 mars 1919 portant approbation de trois textes relatifs au commerce, à la navigation et à la pêche maritime. Bulletin officiel n° 344 du 26-05-1919
- Dahir du 26 juillet 1922 modifiant et complétant le code de commerce maritime. Bulletin officiel n° 516 du 29 août 1922
- Dahir du 26 novembre 1926 modifiant et complétant l’annexe I du dahir du 31 mars 1919 formant code de commerce maritime. Bulletin officiel n° 743 du 18 janvier 1927
- Dahir du 26 avril 1948 modifiant l’annexe I du dahir du 31 mars 1919 formant code de commerce maritime. Bulletin officiel n° 1857 du 28 mai 1948
Livre deuxième : Des navires
Titre premier : Du régime juridique des navires
Chapitre premier : Des caractères et de la propriété des navires
Article 67 : Les navires de mer sont des biens meubles soumis aux règles du droit commun, sous réserve des règles spéciales ci-après énumérées.
Article 68 : Sont considérés comme faisant partie du navire tous les accessoires nécessaires à son exploitation.
Article 69 : Celui qui construit un navire pour le compte d’autrui en demeure propriétaire jusqu’à la livraison, sauf convention contraire.
Néanmoins, si le constructeur fait faillite ou est déclaré en état de liquidation judiciaire, et si la faillite ou la liquidation judiciaire ne termine pas la construction, celui pour le compte duquel la construction est en cours, a le droit de se faire attribuer le navire et les matériaux approvisionnés, moyennant versement du prix d’estimation, sous déduction des acomptes payés,
il peut ensuite terminer le navire sur place, à ses frais, sauf indemnité pour occupation des chantiers.
Article 70 : La vente d’un navire peut être volontaire ou forcée.
Article 71 : La vente volontaire doit être faite par écrit et peut avoir lieu par acte public ou par acte sous signature privée : elle peut être faite pour le navire entier ou pour une portion du navire, le navire étant dans le port ou en voyage.
Article 72 : La vente ne peut être opposée aux intéressés autres que les parties elles-mêmes, qu’autant qu’elle a été inscrite sur le registre destiné à constater la propriété des navires et mentionnée, si l’acheteur est Français, sur l’acte de nationalité.
Article 73 : Si la vente a lieu à l’étranger, elle doit être faite par écrit, sous-seing privé ou par acte authentique, devant le consul français ou devant un officier public du pays.
Lorsque la vente du navire entraîne le transfert sous pavillon chérifien, la remise de l’acte de nationalité provisoire ou définitif tient lieu de la mention prescrite à l’article 72.
Lorsque le navire qui fait l’objet de la vente se trouve dans un port étranger ou français autre que son port d’immatriculation, une simple mention de la vente sur le registre matricule suffit à produire l’effet de l’immatriculation définitive, jusqu’au retour du navire à son port d’immatriculation. Cette mention est opérée dans ce port sur l’avis de vente du navire donné au service compétent par le consul du port où se trouve le navire, si la vente a lieu à l’étranger.
Si la vente a lieu en France, la mention est inscrite dans le port d’immatriculation, sur communication de l’acte de vente faite au service compétent par les intéressés. Dans ce cas, le service compétent avise le consul du port où se trouve le navire, et celui-ci fait la mention prescrite sur l’acte de nationalité.
Article 74 : En tout ce qui concerne l’intérêt commun des propriétaires du navire, l’avis de la majorité est suivi.
La majorité se détermine par une portion d’intérêt dans le navire excédant la moitié de sa valeur.
La licitation d’un navire ne peut être accordée que sur la demande de propriétaires formant ensemble la moitié de l’intérêt total dans le navire et s’il n’y a pas, par écrit, convention contraire.
Les décisions contraires aux clauses du contrat d’armement ou étrangères au but de l’armement, ne sont valables qu’autant qu’elles sont prises à l’unanimité des voix des copropriétaires.
Article 75 : Chaque propriétaire peut vendre sa part sans l’autorisation des autres.
Toutefois, la vente d’une part de copropriété dans un navire, à la suite de laquelle le navire perdrait le droit de porter le pavillon marocain, ne peut avoir lieu que du consentement de tous les copropriétaires.
Article 76 : Si le capitaine congédié est copropriétaire du navire, il peut renoncer à la copropriété et exiger le remboursement du capital qui la représente.
Le montant du capital est déterminé par des experts nommés par justice.
Toutefois, si dans un délai d’un mois à partir de la notification de son congédiement le capitaine n’a pas fait connaître sa décision, les armateurs peuvent le mettre en demeure d’avoir à se prononcer dans le délai d’un mois.
Titre deuxième : des propriétaires et armateurs :
Article 124 : Le propriétaire du navire est responsable personnellement, mais seulement jusqu’à concurrence de la valeur du navire et de ses accessoires, ci-après déterminés, et, au maximum, à raison de 13 800 F par tonneau de jauge,
des obligations dérivant des actes accomplis et des contrats conclus par le capitaine dans l’exercice de ses pouvoirs légaux, ainsi que des faits et fautes du capitaine de l’équipage, du pilote, et de toute autre personne au service du navire.
Il en est de même pour l’obligation d’enlever l’épave d’un navire coulé ou de réparer les dommages causés par le navire aux ouvrages d’art des ports, docks et voies navigables.
Le propriétaire d’un bâtiment échoué ou coulé dans les eaux territoriales, dans des conditions telles qu’il constitue un obstacle ou un danger pour la navigation, est tenu de procéder à son enlèvement. S’il ne se conforme pas aux injonctions qui lui sont adressées à cet égard par l’administration, celle-ci a qualité pour se substituer à lui en vue de procéder à cet enlèvement. Tant qu’il n’a pas été satisfait à ses injonctions, l’administration peut s’opposer à ce que le propriétaire fasse valoir ses droits sur le navire, sauf audit propriétaire à provoquer la nomination d’un gardien séquestre.
Dans le cas où le bâtiment coulé ou échoué ne forme pas obstacle ou danger pour la navigation, L’administration peut mettre le propriétaire en demeure de procéder à son relèvement. Si, dans le délai de deux ans après cette mise en demeure, le relèvement n’a pas eu lieu, ou bien si les opérations de relèvement ont été interrompues pendant plus de deux ans, l’administration peut prendre telles mesures qu’elle juge utiles pour assurer l’exploitation du bâtiment. Le produit net, quand il y en a, est déposé dans les caisses du trésor, où il reste à la disposition des ayants droit pendant un délai de cinq ans, à l’expiration duquel la somme déposée, si elle n’a pas été réclamée, devient la propriété de l’Etat.
Article 125 : Les accessoires visés à l’article 124 comprennent :
1° sous déduction d’un tiers, le fret et le prix du passage afférents aux marchandises et aux passagers se trouvant à bord au moment où la responsabilité est déterminée ;
2° sans aucune déduction, les sommes acquises depuis le départ du dernier port, à titre de compensation de dommages ou d’indemnité d’assistance ou de sauvetage.
Ils ne comprennent pas les indemnités payées ou dues en vertu de contrats d’assurances, non plus que les primes, subventions ou autres subsides nationaux.
Article 126: En cas de mort ou de lésions corporelles causées par les faits ou fautes du capitaine, de l’équipage, du pilote ou de toute autre personne au service du navire, le propriétaire du navire est, à l’égard des victimes ou de leurs ayants droit, responsable au-delà de la limite fixée à l’article 124 jusqu’à concurrence de 12000 francs par tonneau de jauge du navire.
Article 127 : L’étendue de la responsabilité se détermine à l’arrivée du navire dans le premier port où il touche après le fait qui a donné naissance à cette responsabilité, sauf le cas de fin accidentelle.
En cas de fin accidentelle antérieure à l’arrivée dans le premier port, elle se détermine à la date de cet événement.
Il y a fin accidentelle quand le navire périt, quand il est déclaré innavigable, ou quand il est réputé perdu par suite de défaut de nouvelles.
Le navire est réputé perdu par suite de défaut de nouvelles lorsqu’il s’est écoulé depuis la date des dernières nouvelles reçues un délai de quatre mois pour tous navires à vapeur, de six mois pour tous navires à voiles autres que ceux qui franchissent le cap Horn ou le cap de Bonne-Espérance, de huit mois pour ces derniers.
Article 128 : Le propriétaire qui est en même temps capitaine du navire peut limiter sa responsabilité dans les termes des dispositions qui précèdent, le cas de dol excepté.
Article 129 : L’armateur non propriétaire du navire est solidairement responsable avec le propriétaire, et dans les mêmes limites que ce dernier.
Article 131 : L’armateur désigne et congédie le capitaine.
Le congédiement du capitaine peut donner lieu à indemnité au profit de ce dernier.
Article 132 : Si le capitaine congédié est copropriétaire du navire, il peut renoncer à la copropriété et exiger le remboursement du capital, dont le montant est déterminé par des experts amiables ou judiciaires.
Ce droit de renonciation ne peut plus être exercé par lui passé le délai de trente jours à dater de l’interpellation que lui auront faite ses copropriétaires.
S’il use de ce droit dans ledit délai, ses copropriétaires doivent lui rembourser sa part de copropriété dans les trente jours de l’expertise qui en a fixé le montant.
Article 133 (Abrogé, D. 26 juillet 1922).
Article 134 (Abrogé, D. 26 juillet 1922).
Article 135 : Chacun des copropriétaires n’est tenu que proportionnellement à sa part, des obligations qui entraînent une responsabilité personnelle.
En outre, il peut toujours se libérer des obligations résultant pour lui d’un acte de gestion auquel il a refusé son adhésion, par l’abandon de sa part de copropriété dans le navire.
Cette part est alors répartie entre les autres copropriétaires, proportionnellement à leurs intérêts respectifs dans le navire.
Article 136 : La copropriété ne cesse pas par la mort, la faillite, la déconfiture ou l’interdiction d’un des copropriétaires.
Article 137 : L’armateur gérant nommé par les copropriétaires du navire ne peut, sans pouvoir spécial de ces derniers, vendre ni hypothéquer le navire ; mais ses pouvoirs généraux comportent la faculté de le faire assurer.
Article 138 : L’armateur gérant représente en justice les propriétaires du navire pour tout ce qui est relatif à l’armement et à l’expédition.
Article 139 : Si les propriétaires du navire ont restreint, par des instructions spéciales, les pouvoirs de l’armateur gérant, cette restriction n’est pas opposable aux tiers qui ont contracté de bonne foi avec ce dernier.